La Faktory

En 2012, le bureau Dethier Architecture est sollicité pour étudier un bâtiment situé 35, quai Marcellis à Liège et destiné à accueillir un complexe novateur d'incubateur pour entreprises innovantes, la Faktory.

Une équipe pluridisciplinaire de spécialistes (architectes, ingénieurs, psychologues…) animée par Jean-Pierre Aerts, consultant et professeur à la Solvay Business School, s’est d’emblée attachée à définir une philosophie d’ensemble et une programmation circonstanciée pour fournir le cadre le mieux adapté. Ces études préliminaires ont mis en évidence que tous les espaces de travail en solitaire ou en commun, les espaces de communication et les zones de détente verraient leurs fonctions renforcées si elles étaient articulées autour d’un concept fédérateur établi sur les valeurs de la biodiversité et, même, de l’agriculture urbaine. Les aspects de développement durable (géothermie, ventilation et éclairage naturels, valorisation des eaux pluviales et de l’énergie solaire…) apparaissaient aussi comme centraux. C’est pourquoi Dethier Architecture a proposé au maître de l’ouvrage de développer le bâtiment en collaboration avec Transsolar, bureau international en ingénierie climatique. Au départ, la Faktory devait, à l’horizon 2015, occuper ses nouvelles installations du quai Marcellis, face à la Meuse, une implantation qui traduisait la préoccupation du maître de l'ouvrage de contribuer à valoriser l’image de la ville de Liège.

En novembre 2016, alors que les pieux de fondation ont été forés avec succès et les déblais évacués, le maître de l'ouvrage fait part de modifications de programme. De nouveaux avant-projets sommaires sont sollicités de Dethier Architecture, qui en soumettra quatre entre décembre 2016 et fin février 2017. En mars, SEMACO, le maître de l'ouvrage délégué, est mandaté pour stater le projet, hors achèvement des fondations. En avril, il est mis fin à la mission des architectes au bénéfice d'un partenariat avec une entreprise générale dans le cadre d'un projet conception-construction. Democo de Hasselt sera ensuite désignée. Le programme est fondamentalement modifié. Les bureaux n'occupent plus que deux niveaux. Deux appartements (163,27 et 165,62 m²) prennent place sous le duplex du propriétaire (268,86 m²), côté quai Marcellis ; côté Léon Frédéricq, les quatre studios prévus pour l'hébergement des stagiaires de la Faktory sont remplacés par un appartement de 71,50 m² et deux duplex (125,62 et 129,30 m²). Les écosystèmes et l'agriculture urbaine sont réduits (environ 6 m² au rez-de-chaussée et 47,40 m² dans une serre installée au niveau +5, en toiture, côté Léon Frédéricq). Si un maître de l'ouvrage a toujours le droit de modifier son projet, il faut noter que cette décision intervient alors que l'évolution de la proposition de Dethier Architecture témoigne d'une maîtrise des budgets raisonnés dans un esprit de parfaite transparence entre toutes les parties. En effet, les estimations des coûts au m2 (toutes surfaces confondues) ont été réduites de 15% entre février 2014 (avant le dépôt du premier permis d'urbanisme) et novembre 2016. A cette diminution, il faut encore ajouter le fait qu'à l'époque, 86% des lots de construction n'avaient pas encore été attribués et que subsistaient donc encore des marges de manœuvre budgétaire importantes.

Les atermoiements dans l’obtention des autorisations ne sont peut-être pas étrangers à l’abandon de ce projet hors normes. En effet, la première demande de permis d’urbanisme (février 2014) avait été rejetée en raison d’une réglementation relative aux eaux souterraines inadaptée aux centres urbains. Un second dossier de permis d’urbanisme, qui ne comportait aucune modification de l’architecture, précisait la manière dont le puits destiné à la géothermie devait être réalisé ; le Collège communal de Liège octroyait le permis unique, le 19 juin 2015 … mais, trois semaines plus tard, un fonctionnaire technique (Direction des Eaux souterraines) introduisait un recours auprès du gouvernement régional à l’encontre de cette décision. Elle ne sera finalement confirmée par le Ministre compétent qu’en octobre de la même année. Sur ces entrefaites, l'« incubateur d’entreprises » est installé dans les anciens bâtiments d’EVS au sein du parc scientifique du Sart Tilman, construits par Daniel Dethier en 1998 ; il s’y trouve toujours aujourd’hui. S’ajoute sans doute encore la désillusion du maître de l’ouvrage qui avait déposé sa candidature à l’appel à projet « Bâtiments exemplaires Wallonie – BATEX » lancé par la Région pour promouvoir la construction et la rénovation d’édifices durables : la Faktory pouvait difficilement y prétendre, les critères d’appréciation de l’appel n’intégrant pas les avancées technologiques proposées.

Relevons encore que cette histoire a entrainé la démolition d’un hôtel de maître en front de Meuse pour dégager l’espace nécessaire à la construction du nouveau complexe … et que, si le permis d’urbanisme l’a autorisée, c’est précisément parce que le programme et l’architecture de la Faktory constituaient des facteurs forts et féconds.

LA FAKTORY // UN COMPLEXE ARCHITECTURAL EXCEPTIONNEL
Destinée à être construite sur un des quais de Meuse les plus emblématiques, la Faktory a fait l’objet d’études circonstanciées visant une intégration urbanistique maximale. Outre son inscription dans le parcellaire très dense du quartier selon une logique de respect des espaces partagés et d’optimalisation de leurs qualités, le complexe se positionnait comme un élément d’unification des différents gabarits des constructions en place le long du quai : ainsi la hauteur de la façade à rue correspondait-elle à celle des maisons anciennes mitoyennes, tandis que le « satellite » qui la coiffait était adapté au gabarit des immeubles à appartements (R+8 en majorité) tout proches. La disposition des volumes et leur transparence totale (au rez et +1) entre la rue Léon Frédéricq et le quai Marcellis aurait par ailleurs permis de créer des jeux d’interactions avec l’extérieur et d’intégrer l’activité de la Faktory à celle de la ville.

La réponse architecturale aux différentes fonctionnalités exigées était limpide : deux entités reliées par une verrière ; en front du quai Marcellis, des espaces ouverts sur la Meuse (amphithéâtre, restaurant, logement, salles de projet et de réunion) surmontés par un module, le « satellite » (appartement en triplex avec vue sur Meuse tel que le maître de l’ouvrage le souhaitait) ; rue Léon Frédéricq, des grands plateaux libres multifonctionnels.
En accord avec le programme qui reposait sur la valorisation de l’innovation entrepreneuriale, l’architecture exprimait une sensibilité contemporaine et définissait une identité singulière et forte, notamment donnée par le développement formel du « satellite ». Les études de stabilité assurée par le bureau Ney+Partners témoignaient également d’un esprit prospectif dans le développement structurel : on peut, dans cet ordre d’idées, épingler, la mise au point de la verrière en acier ou de l’enceinte étanche de pieux sécants avec intégration d’un puits destiné à la géothermie et l’aménagement des 4,5 niveaux de sous-sol sous niveau de la nappe phréatique.

SUR LES CONCEPTS ÉNERGÉTIQUES
La nature prospective du projet comprenait d’emblée la nécessité de performances énergétiques et environnementales exceptionnelles ainsi que l’intégration des dernières avancées technologiques en la matière. L’ensemble de ces questions a été initié en collaboration avec le bureau Transsolar et leur mise en œuvre a été étudiée par le bureau CSD Ingénieurs.

Depuis les phases de construction jusqu’à l’exploitation quotidienne, le bâtiment se conformait aux exigences les plus pointues du développement durable, un des objectifs prioritaires étant d’obtenir un bâtiment « énergie positive ». Pierre L’Hoest souhaitait qu’il soit certifié « BREEAM excellent ».
Outre les dispositions d’usage en la matière (isolation, chauffage, géothermie…), différents axes de recherches ont été spécifiquement développés pour la production d’énergie renouvelable (pompe à chaleur, capteurs photovoltaïques…) mais surtout pour la ventilation et la régulation thermique (ventilation double flux, dalles actives…) avec deux facteurs à relever : la conception de la verrière dessinée pour favoriser une circulation non mécanisée de l’air et l’implantation d’écosystèmes contribuant à la maîtrise de la température à l’intérieur de l’édifice. Même préoccupation d’économie à l’exploitation des ressources aquatiques qui prévoyait la récupération des pluies et le recyclage des eaux grises.

METTRE EN PLACE DES ECOSYSTEMES
Le projet était caractérisé par l’intégra¬tion des dernières avancées technologiques en matière non seulement d’architecture mais aussi de sciences du vivant. L’objectif était double : établir sur le site un équilibre entre l’activité humaine, la nature et la ville d’une part ; contribuer à la rationalisation des ressources énergétiques et aquatiques d’autre part. Le professeur Mahy, responsable de l’unité « Biodiversité et Paysage » de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), a étudié les diverses pos¬sibilités de réintroduire des écosystèmes analogues à ceux de la vallée mosane sur les façades (à l’ouest, bacs à pelouse calcaire ; à l’est, prairie fleurie), à l’intérieur du bâtiment et sur la toiture végétale.

DE L’AGRICULTURE URBAINE
Des études très précises ont été effectuées pour mettre un place un système d’agriculture urbaine couplée à une pisciculture, dont la production pouvait être consommée sur place selon un circuit très court avec des qualités environnementales et nutritionnelles remarquables. Développé en partenariat avec le professeur Haïssam Jijakli, chercheur à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), l’ensemble des dispositifs aurait permis une production annuelle d’environ 250 kg de poissons et de 2,9T de légumes et fruits frais.

Ces dispositions s’intègrent par ailleurs à des réflexions sur les New Ways of Working. L’implantation d’un complexe d’agriculture urbaine participe en effet à révéler le rythme des saisons et le temps qui passe – élément souvent central dans la dynamique de réussite d’un projet entrepreneurial – de façon organique et hors de la pression que les systèmes horlogers peuvent faire peser … une idée primordiale pour le maître de l’ouvrage.