Une réhabilitation inachevée

La Boverie et la passerelle La Belle liégeoise viennent d’être inaugurés sous le soleil de mai. Le public circule et se répand entre les quais et le parc. Le moment est bien choisi pour évoquer quelques étapes d’un projet plus global et inachevé.
En 1999, une étude de faisabilité de la place devant la gare est commandée par la SRWT à Claude Strebelle. Cette étude aboutit à la première proposition de place triangulaire approuvée par Calatrava.
En 2002, la Région wallonne adopte un plan d’aménagement à valeur réglementaire, Plan communal d’aménagement (PCA). Son périmètre englobe les îlots construits depuis la gare jusqu’à la Meuse. La même année, un projet d’aménagement élaboré par Santiago Calatrava est dévoilé. Il s’agit d’une perspective monumentale, construite autour d’un canal qui relie la gare à un énorme rond-point sur les quais.
En 2004, un périmètre de Rénovation urbaine fait l’objet d’un arrêté de reconnaissance par la Région wallonne. L’association momentanée « Dethier et associés, Atelier 4D, Agence TER, Ney & Partners » est désignée comme auteur de projet pour l’aménagement d’une place de forme triangulaire devant la future gare.
Le démarrage du chantier subit une série de retards essentiellement dus à la problématique du tram. Dethier Architecture met à profit cette période pour développer toute une réflexion sur l’aménagement du quartier. Il apparaît très rapidement qu’il est nécessaire d’ouvrir l’espace devant la gare ce que ne permet pas la place triangulaire. Ainsi, naît le projet de créer une rambla, trait d’union entre la gare et le fleuve, axe longitudinal sur lequel viennent se greffer des pénétrations transversales irriguant tout le quartier.
Nos réflexions débouchent sur un projet à la vue plus dégagée que celui de Claude Strebelle, et, contrairement au dessin de Calatrava, il intègre le tissu urbain existant, favorise son évolution et propose des fonctions de bureaux et de logements de manière à valoriser la dynamique de la rue des Guillemins traditionnellement basées sur le commerce.
Notre philosophie est de concilier harmonieusement le neuf tout en gardant une partie de l’existant. Le quartier se construit ou se reconstruit petit à petit. Une ville nouvelle manque d’âme.
L’esplanade élaborée en fonction de modes de circulations lents, cyclistes mais surtout piétons, intègre de nombreuses réflexions : segmentation spatiale calculée sur des vitesses de déplacement spécifiques, dégagement du trafic automobile, juste proportion entre l’espace et son occupation humaine, mise en place d’éléments de liaisons locales et régionales, enfouissement d’une partie du trafic le long des berges.
La promenade vers le fleuve se prolonge par une passerelle donnant accès au parc de la Boverie, à la Médiacité et au quartier du Longdoz où des développements immobiliers sont prévus. Entre autres, Dethier Architecture propose de compléter la perspective par la réalisation de cinq Tours hexagonales posées sur un socle végétalisé sur l’espace Barvaux (Vennes). Les Tours comprennent aux étages inférieurs des commerces et un hôtel tandis que les niveaux supérieurs sont prévus pour des logements.

En 2005, la Ville de Liège nous confie une étude de faisabilité portant sur la réhabilitation du quartier telle que proposée dans notre analyse.
Cette étude de faisabilité confirme la validité de l’intérêt financier de détruire l’ancien bâtiment des finances et de reconstruire une Tour repère urbain mais aussi de l’intérêt de l’aménagement d’un centre d’affaires sur la rambla. La Tour actuelle s’inspire au 1er degré de la Tour que nous avions dessinée.
L’étude devait également déboucher sur la mise au point d’un faisceau de prescriptions urbanistiques afin d’assurer la cohérence de l’opération et de l’identité du futur quartier. Malheureusement, les orientations avancées se sont égarées. La Tour des Finances telle que nous l’avions conçue ne correspond en rien à la Tour existante. L’immeuble actuel, adapté à partir des propositions que nous avions présentées, a été agrandi. Ses nouvelles proportions ne sont pas adaptées à son environnement sur lequel il jettera une ombre importante.

Il en est de même pour le Centre du Design sans rapport avec notre projet et bien peu représentatif de son objet.

En dessinant la place des Guillemins et en accompagnant ce projet d’une vision plus large, Dethier Architecture cherche à conjuguer la vocation métropolitaine du site et l’échelle du quartier de façon à donner à l’ensemble un rôle moteur pour Liège.

En 2007, un arrêté du Gouvernement wallon approuve le Périmètre de remembrement urbain basé sur les conclusions de cette étude de faisabilité et son schéma d’aménagement.

Aujourd’hui, quel constat ? Il semblerait que les aménagements prévus sur l’actuelle place des Guillemins et que nous avions considérés comme première phase de la réalisation de la rambla soit sans suite. La ville compte sur les aménagements du tram pour terminer la rambla mais sans lien avec la première phase. Ce qui apparaît donc avant tout c'est une composition hétéroclite de surfaces confiées à différents intervenants sans aucune vision d'ensemble ni urbanistique ni architecturale. Le manque de cohérence est regrettable.

Nous nous inquiétons de la suite, et le cas de la maison, pompeusement appelée « Hôtel Rigo », qui fait tant parler et écrire, n’est pas pour nous rassurer. Isolée, sans véritable valeur architecturale elle divise actuellement les liégeois. Pourtant la décision de sa destruction prise il y a 10 ans ne devrait plus agiter les foules. Il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit d’un immeuble déjà démonté et remonté et qui pourrait subir à nouveau la même opération pour en assurer la conservation.

Faut-il donc reculer pour mieux sauter et la Ville ne devrait-elle pas tenir compte de ses expériences, les évaluer et concentrer son potentiel créatif pour retrouver une unité, un sens à un projet jusqu’ici maltraité ?
Documents :
Projet Calatrava - Perspective face à la gare - 2006
Étude de faisabilité Dethier Architecture - 2007